L'histoire de Citroën se confond avec celle de son fondateur, André Citroën, dont le génie visionnaire a marqué à jamais l'industrie automobile française. Né le 5 février 1878 à Paris, cet ingénieur diplômé de l'École Polytechnique a su transformer une simple découverte technique en un empire industriel révolutionnaire. Son parcours, couronné par la Légion d'honneur, témoigne d'une ambition hors normes et d'une capacité d'innovation qui continue d'inspirer le monde automobile plus d'un siècle après la création de sa marque.
Les origines révolutionnaires : André Citroën et la naissance d'un empire automobile
Un pionnier inspiré par les méthodes Ford au Quai de Javel
L'aventure industrielle d'André Citroën commence bien avant la fondation de son entreprise automobile. En 1900, alors qu'il n'a que vingt-deux ans, le jeune ingénieur découvre en Pologne un système ingénieux d'engrenages à denture en forme de chevrons. Cette trouvaille technique devient rapidement son fer de lance commercial. Dès 1905, à vingt-sept ans seulement, il crée sa première entreprise exploitant ce brevet, qui deviendra plus tard l'emblème iconique de la marque automobile qu'il fondera.
Son intérêt pour l'automobile se concrétise en 1912 lorsqu'il devient directeur général de Mors, une firme automobile de l'époque. Cette expérience lui permet de comprendre les rouages de l'industrie naissante et de développer sa vision d'une production accessible au plus grand nombre. C'est également à cette période qu'il fonde la Société anonyme des engrenages Citroën, jetant les premières pierres de son futur empire. La Première Guerre mondiale offre à l'entrepreneur une opportunité inattendue de démontrer ses capacités organisationnelles. En 1914, il transforme une usine située quai de Javel à Paris en une gigantesque unité de production d'obus. Cette conversion spectaculaire permet d'atteindre une production de dix mille obus par jour en 1915, puis de cinquante mille en 1917, employant une main-d'œuvre majoritairement féminine dans des conditions révolutionnaires pour l'époque, avec des services sociaux jusqu'alors inédits.
De la Légion d'honneur aux premiers modèles innovants
Fort de cette expérience industrielle, André Citroën fonde officiellement son entreprise automobile en 1919. S'inspirant directement des méthodes de production en série développées par Henry Ford aux États-Unis, il introduit le fordisme en Europe, révolutionnant ainsi la manière de concevoir et de fabriquer des voitures. Cette approche visionnaire permet de rendre l'automobile accessible à une clientèle bien plus large que les seules classes aisées. Le premier modèle, la Citroën Type A, est lancé dès 1919, marquant le début d'une production de masse qui va transformer le paysage automobile français.
L'innovation ne se limite pas aux chaînes de production. André Citroën comprend rapidement l'importance d'un réseau commercial solide et d'un service après-vente efficace. Il devient pionnier dans le développement d'un réseau d'agents réparateurs, garantissant ainsi la pérennité et la satisfaction de ses clients. Plus audacieux encore, il introduit la vente à crédit grâce à la création de la SOVAC, permettant aux Français moyens d'accéder plus facilement à la propriété automobile. Dans les années trente, ces efforts portent leurs fruits de manière spectaculaire. Citroën devient le premier constructeur en France et en Europe, et se hisse même au rang de deuxième constructeur mondial, témoignant de l'ampleur du succès de cette stratégie industrielle et commerciale.
Les innovations techniques qui ont transformé l'automobile française
La Traction Avant : une conception qui a redéfini les standards
En 1934, Citroën lance un modèle qui va marquer l'histoire de l'automobile mondiale : la Traction Avant. Cette voiture révolutionnaire bouleverse les conventions établies en proposant une architecture technique radicalement nouvelle. Comme son nom l'indique, elle adopte la traction avant, une configuration qui améliore considérablement la tenue de route et l'espace intérieur. Cette conception audacieuse nécessite des investissements colossaux en recherche et développement, mobilisant les meilleurs ingénieurs et les équipes du bureau d'études de la marque.
La Traction Avant représente bien plus qu'une simple innovation technique. Elle incarne la philosophie d'André Citroën, qui consiste à proposer des solutions avant-gardistes accessibles au grand public. Le modèle connaît un succès considérable et reste en production pendant plus de vingt ans, devenant l'un des symboles de l'industrie automobile française. Sa silhouette élégante et ses performances remarquables en font une voiture prisée aussi bien des particuliers que des services officiels. Cette réussite démontre la capacité de Citroën à conjuguer innovation technique et production en série, un équilibre rare dans l'industrie automobile de l'époque.
La suspension hydropneumatique et le confort de conduite réinventé
L'innovation chez Citroën ne s'arrête pas avec la Traction Avant. La marque continue de repousser les limites techniques, notamment avec le développement de la suspension hydropneumatique, une technologie révolutionnaire qui offre un confort de conduite inégalé. Cette suspension permet d'absorber les irrégularités de la route avec une efficacité remarquable, transformant l'expérience de conduite et établissant de nouveaux standards dans l'industrie automobile mondiale.
Cette quête permanente d'innovation se manifeste également dans d'autres domaines. Les ingénieurs de la marque n'hésitent pas à explorer des configurations mécaniques originales, comme des moteurs équipés de trois cylindres, pour améliorer l'efficacité et les performances des véhicules. Ces avancées techniques contribuent à forger la réputation de Citroën comme constructeur audacieux, capable de proposer des solutions originales aux défis de la mobilité. Cette culture de l'innovation, initiée par André Citroën lui-même, devient l'ADN de l'entreprise et se perpétue à travers les décennies, même après la disparition de son fondateur.
Des périodes difficiles aux collaborations décisives avec Michelin
L'adaptation aux deux guerres mondiales et la production militaire
L'histoire de Citroën est indissociable des bouleversements du vingtième siècle, notamment les deux guerres mondiales qui ont profondément marqué l'industrie européenne. Durant la Première Guerre mondiale, comme évoqué précédemment, l'usine du quai de Javel se transforme en centre de production militaire massif. Cette reconversion illustre la capacité d'adaptation remarquable de l'entreprise face aux circonstances exceptionnelles. La production d'obus atteint des niveaux impressionnants, avec jusqu'à cinquante-cinq mille unités fabriquées quotidiennement en 1917, un exploit industriel rendu possible grâce à l'organisation scientifique du travail et à l'emploi d'une main-d'œuvre largement féminine.
La Seconde Guerre mondiale confronte l'entreprise à des défis encore plus complexes. Comme de nombreuses firmes industrielles françaises, Citroën doit naviguer dans un contexte de collaboration forcée avec l'occupant allemand. Cette période sombre de l'histoire française touche également les constructeurs concurrents comme Renault et Peugeot, qui se trouvent contraints de contribuer à l'effort de guerre allemand. Ces années difficiles laissent des traces profondes dans l'industrie automobile française, mais témoignent également de la résilience de ces entreprises qui parviennent à survivre et à se reconstruire après le conflit.

L'influence de Pierre et Jean Michelin sur le développement de la société
L'année 1935 marque un tournant dramatique dans l'histoire de Citroën. Malgré son succès commercial et technique, l'entreprise se heurte à de graves difficultés financières, aggravées par la crise économique mondiale et les investissements massifs nécessaires au développement de la Traction Avant. Face au refus des banques de soutenir davantage l'entreprise, André Citroën est contraint de déposer le bilan. C'est alors que Michelin intervient pour éviter la faillite complète, rachetant la société en 1935 et prenant le contrôle de ses opérations.
Cette acquisition impose toutefois une condition douloureuse : le départ d'André Citroën lui-même, exigé par Michelin. Ce coup du sort s'avère fatal pour le fondateur, déjà affaibli par la maladie. André Citroën décède d'un cancer le 3 juillet 1935, à l'âge de cinquante-sept ans seulement. Il repose aujourd'hui au cimetière du Montparnasse à Paris. Son départ marque la fin d'une époque, mais le début d'une nouvelle phase pour l'entreprise sous la direction de Michelin. Pierre Michelin et Jean Michelin jouent un rôle crucial dans la restructuration et le développement ultérieur de la société, assurant sa pérennité tout en préservant l'esprit d'innovation insufflé par son fondateur. Cette collaboration entre Michelin et Citroën se révèle décisive pour la survie et la prospérité future de la marque aux chevrons.
L'évolution moderne : du Groupe PSA à Stellantis et l'héritage perpétué
Les modèles emblématiques et la présence au Salon de l'Automobile
L'après-guerre marque le début d'une nouvelle ère glorieuse pour Citroën avec la présentation de modèles qui vont devenir iconiques. En 1948, lors du Salon de l'Automobile, la marque dévoile la 2CV, une voiture révolutionnaire conçue pour démocratiser l'automobile dans la France rurale d'après-guerre. Ce modèle modeste en apparence rencontre un succès phénoménal, avec une production qui dépasse les cinq millions d'exemplaires jusqu'à l'arrêt de sa fabrication en 1990. La 2CV incarne l'accessibilité et la simplicité, devenant un véritable symbole culturel français.
Sept ans plus tard, en 1955, Citroën frappe à nouveau les esprits avec la DS, un modèle qui représente l'exact opposé de la 2CV en termes de sophistication et d'audace stylistique. Cette voiture avant-gardiste séduit par ses lignes futuristes et ses innovations techniques, notamment sa fameuse suspension hydropneumatique qui offre un confort de conduite inégalé. La DS devient rapidement la voiture officielle de la République française et un objet de fascination pour le grand public. Ces deux modèles, bien que radicalement différents, illustrent la capacité de Citroën à répondre aux besoins diversifiés du marché tout en maintenant une identité forte et innovante. Au fil des décennies, d'autres modèles emblématiques enrichissent le catalogue de la marque, perpétuant la tradition d'audace et d'originalité initiée par André Citroën. L'intégration progressive de Citroën dans des groupes plus vastes, d'abord le Groupe PSA puis Stellantis, assure la continuité de cette histoire tout en offrant de nouvelles perspectives de développement.
Les croisières Citroën et la Tour Eiffel comme symboles d'audace
La vision d'André Citroën dépasse largement le cadre de la simple production automobile. Il comprend très tôt l'importance de la communication et du marketing pour construire une marque puissante. Dès 1921, il réalise un coup publicitaire spectaculaire en faisant écrire le nom Citroën dans le ciel de Paris au moyen d'un avion, une première mondiale destinée à promouvoir le modèle B2. Cette action audacieuse n'est que le prélude à des initiatives encore plus spectaculaires.
En 1925, André Citroën transforme la Tour Eiffel en un gigantesque panneau publicitaire en illuminant le monument de deux cent mille ampoules formant le nom de sa marque. Cette installation lumineuse reste en place jusqu'en 1935, faisant de la Tour Eiffel un support publicitaire unique et renforçant considérablement la notoriété internationale de Citroën. Ces actions témoignent du sens aigu de la communication du fondateur, qui comprend que la visibilité et l'audace sont essentielles pour s'imposer dans un marché concurrentiel.
Mais les initiatives les plus extraordinaires restent sans conteste les fameuses croisières Citroën, des expéditions transcontinentales organisées entre 1922 et 1931. La première traverse le Sahara en 1922, suivie d'une expédition africaine en 1924 connue sous le nom de Croisière Noire. Ces aventures utilisent des autochenilles spécialement conçues pour affronter les terrains les plus difficiles. En 1931, la Croisière Jaune accomplit l'exploit de relier Beyrouth à Pékin, traversant l'Asie dans des conditions extrêmes. Des figures comme Georges-Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil participent activement à ces expéditions qui captivent l'imagination du public mondial. Ces croisières ne sont pas de simples opérations publicitaires, mais de véritables démonstrations de la fiabilité et de la robustesse des véhicules Citroën, tout en contribuant à la connaissance géographique et scientifique de régions encore largement inexplorées. Cet esprit d'aventure se perpétue bien après la disparition du fondateur. En 1987, une AX dévale spectaculairement la Grande Muraille de Chine, renouvelant la tradition d'audace de la marque. En 1985, le film institutionnel intitulé Les chevrons sauvages reçoit un Lion d'or au festival de Cannes, témoignant de la reconnaissance culturelle et artistique de l'univers Citroën. En 2018, la campagne globale Citroën Inspiré par vous depuis 1919 rend hommage à cet héritage exceptionnel.
L'entrée dans le vingt-et-unième siècle voit Citroën continuer d'innover tout en honorant son histoire. En 2016, la marque lance un musée virtuel accessible dans soixante-cinq pays, présentant quatre-vingt-trois modèles emblématiques et permettant aux passionnés du monde entier de découvrir ce patrimoine automobile exceptionnel. En 2019, année du centenaire de la marque, Citroën organise un rassemblement qui réunit plus de dix mille collectionneurs, quatre mille deux cents voitures et soixante mille personnes, démontrant l'attachement profond du public à cette marque iconique. La même année, le SUV Citroën C5 Aircross Hybrid devient le premier modèle hybride rechargeable de la marque, marquant son engagement vers une mobilité plus durable. En 2020, le lancement d'AMI, un véhicule électrique ultra-compact accessible sans permis, illustre la capacité de Citroën à répondre aux nouveaux enjeux de mobilité urbaine tout en restant fidèle à sa philosophie d'accessibilité.
Aujourd'hui, l'héritage d'André Citroën demeure vivant. Le fondateur, qui fut également le premier employeur de France à rémunérer ses employés avec un treizième mois dès 1927, a laissé une empreinte indélébile dans l'histoire industrielle et sociale française. Son esprit visionnaire, son audace commerciale et sa passion pour l'innovation continuent d'inspirer les générations successives d'ingénieurs et de dirigeants. De l'usine du quai de Javel aux structures modernes de Stellantis, l'histoire de Citroën reste celle d'une aventure humaine exceptionnelle, portée par un homme dont le nom, issu du néerlandais Citroen en référence à ses origines familiales de marchands d'agrumes, est devenu synonyme d'innovation automobile à travers le monde entier.































